Il n'y a pas eu d'émeutes urbaines à Cergy, par Dominique Lefebvre

Publié le par SDJ Cergy

Point de vue

LE MONDE | 27.06.07 | 14h15  •  Mis à jour le 27.06.Affiche-100-contest-2007.jpg07 | 14h15

Dans son édition du 23 juin, Le Monde est revenu sur les événements intervenus dans ma ville le dimanche 17 juin et a relié ces faits aux tensions qui existent dans les quartiers sensibles de la grande banlieue parisienne. Je peux comprendre et partager l'interrogation sur la "manipulation" médiatique passée, présente et future des violences urbaines par l'ex-ministre de l'intérieur et nouveau président de la République.

Mais je récuse l'amalgame établi entre ces événements et la "crise des banlieues". Il n'y a pas eu d'"émeutes urbaines" à Cergy le 17 juin. Cergy a été, en novembre 2005, épargnée par la crise des banlieues, à raison principalement de la force de sa mixité sociale et de son ouverture. La ville de Cergy ne vit pas de tensions particulières en dehors de problèmes récurrents de délinquance que l'inefficacité des politiques de sécurité de l'Etat n'a toujours pas permis de régler.

Les faits intervenus le 17 juin et dans les jours qui ont précédé relèvent uniquement à l'origine d'actes de délinquance structurés autour du trafic de stupéfiants et d'armes. Et la responsabilité de ce qui s'est passé ne relève pas des organisateurs du festival de cultures urbaines 100 Contest, de sa nature ou de sa programmation, comme veulent le faire croire la préfecture du Val-d'Oise et l'opposition UMP, mais exclusivement, ce soir-là, d'une défaillance et d'une démission de l'Etat, qui est en charge de la sécurité publique à Cergy. C'est d'ailleurs sans doute pour cela que le ministère de l'intérieur, dont la responsabilité est totalement engagée, n'a pas souhaité donner de "publicité" à ces événements.

Les faits en attestent. Le festival 100 Contest, dont c'est la quatrième édition, débute le vendredi soir, et près de 8 000 personnes assistent aux premiers concerts de rap et de reggae, ainsi qu'aux démonstrations des sports de glisse et de rue, sans aucun incident. Le samedi est un franc succès et se termine par le concert du rappeur américain Redman entre 0 h 15 et 1 h 15, là encore sans incidents sérieux. Rien d'étonnant à cela puisque le concept du 100 Contest repris par le ministre de la culture en novembre 2006 au Grand Palais est justement celui d'une grande mixité de publics jeunes et moins jeunes.

Par contre, le dimanche soir à 21 heures, deux bandes de délinquants rivales de l'agglomération de Cergy-Pontoise se donnent rendez-vous sur le site pour en découdre. La question posée est donc simple : comment deux bandes lourdement armées ont-elles pu arriver jusqu'au coeur du site du festival, alors même que le risque en était connu depuis quarante-huit heures ? Pour une raison évidente et unique : les forces de police étaient quasiment absentes de la manifestation et de ses alentours. La suite en découle naturellement. Contrairement à ce que laisse entendre la préfecture du Val-d'Oise, mon adjoint présent sur le site prend la bonne décision d'arrêter le concert en raison du danger encouru par le public. Les maigres forces de police présentes interviennent alors dans un contexte complexe et ne peuvent empêcher, aux abords de la gare RER, elle-même non protégée, les exactions sur les vitrines de deux commerces et sur les portes et guichets de la gare.

J'ose espérer que la ministre de l'intérieur me donnera l'explication qui me manque sur les raisons de l'abandon tout à fait irresponsable, par l'Etat, de milliers de jeunes venus assister à un festival autorisé par la préfecture et qui avait fait l'objet de plusieurs réunions préparatoires sur le dispositif de sécurité à mettre en oeuvre. J'ai fait confiance à l'Etat pour ce qui relève de sa responsabilité, et je constate avec amertume que cette confiance a été trahie.

Une deuxième question me soucie davantage encore, comme la plupart de mes concitoyens. Alors que la sécurité est une priorité affichée du gouvernement depuis cinq ans, comment se fait-il que l'Etat laisse prospérer sans réagir dans nos villes des bandes délinquantes armées assises sur divers trafics, en particulier le trafic de stupéfiants ? Comment se fait-il que, depuis le début de l'année, la délinquance de voie publique explose à Cergy-Pontoise, notamment à Cergy (+ 25 %), Osny (+ 22 %) et à Pontoise (+ 24 %) ? J'avais prévenu de longue date le préfet du Val-d'Oise et, récemment encore, la nouvelle procureure de la République de Pontoise de ma préoccupation vis-à-vis de ces délinquants et de la circulation d'armes dans ma ville. Rien n'a été fait !

Je constate que les promesses faites en 2002 au moment du démantèlement de la police de proximité n'ont pas été tenues. Résultat ? Aujourd'hui, à Cergy, seule la police municipale fait de l'îlotage, d'autant que les effectifs de police de la circonscription de Cergy sont moins nombreux qu'en 2002, qu'ils manquent de moyens matériels, notamment automobiles, et que rien n'a changé dans le Val-d'Oise du constat fait en 1998 par le rapport Carraz : sous-effectif chronique et massif au regard de la délinquance constatée, policiers souvent trop jeunes et peu expérimentés et parfois insuffisamment encadrés par des gradés d'expérience.

Au total, l'engagement et le dévouement des personnels en place ne peuvent suffire et quotidiennement, dans certains quartiers, quelques groupes tiennent "les murs" et perturbent de façon récurrente la vie des habitants. A cette situation de pénurie policière s'ajoute la désespérante situation du tribunal de Pontoise, que le manque de moyens humains, magistrats et greffiers, empêche d'agir.

Nous n'avons plus besoin de paroles mais de décisions concrètes, notamment sur les moyens consacrés à la sécurité publique et à la justice. Nous, les maires, nous ne supportons plus dans nos villes, où l'Etat est en charge de la sécurité des biens et des personnes, le jeu de défausse, volontaire ou pas, des services de l'Etat vers les élus locaux et les collectivités. Que dirai-je dans quelques jours à mes concitoyens lorsque les deux postes de police de proximité construits par la ville avant 2002 seront fermés pour l'été faute d'effectifs ?

Que leur dirai-je quand je constaterai que l'absence d'une police nationale en nombre suffisant le dimanche dans ma ville ne permet pas de mettre fin aux rodéos de motos, quads et autres engins en tout genre ? Sauf à ce que la ville se substitue encore aux carences criantes de l'Etat en créant des postes de policiers municipaux ? Avec quels moyens ? Et que leur dirai-je encore lorsque je constaterai que le trafic de stupéfiants et la circulation d'armes dans les quartiers n'ont aucune raison de s'arrêter, faute d'une action déterminée des services de l'Etat ?

Je le redis avec force. Il n'y a pas eu d'émeutes urbaines le 17 juin à Cergy, qui reste un modèle envié de ville d'une très grande mixité sociale et culturelle. La délinquance de voie publique y a baissé de 50 % de 1996 à 2002, bien avant que M. Sarkozy ne devienne ministre de l'intérieur, et malgré lui depuis. 100 Contest est, comme Rencart'Danse ou Cergy soit !, une très belle manifestation. Les cultures urbaines sont les meilleures armes contre les violences urbaines, et nous ferons donc la 5 e édition de 100 Contest en 2008.

Quant à l'Etat, qui a été le 17 juin responsable et coupable d'une défaillance grave, il doit aujourd'hui dans ma ville, et plus généralement dans le département du Val-d'Oise, se ressaisir et assumer devant les élus et les habitants ses responsabilités, sauf à constater à quelques mois des élections municipales une nouvelle instrumentalisation par le pouvoir des questions de sécurité. Nous ne le laisserons pas faire.


Dominique  Lefebvre, maire de Cergy, est président de l'agglomération de Cergy-Pontoise.

Publié dans Cergy notre ville

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